Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Longitude 57 Est

22 juillet 2015

La bouffe de maurice

A Maurice,  on vit pour manger. Cela vient tout naturellement. Un petit coup d’œil à la ronde confirme l’abondance de bedaines imposantes et supporte cette affirmation jusqu’ici gratuite.

 

Ma mère nous disait toujours que les émigrés mauriciens regrettaient toujours la nourriture de chez nous. Elle nous disait :

-       Les mauriciens à l’étranger pleurent devant un bouillon de brède !

Qu’ils pleurent, cela passe encore, mais je trouvais incompréhensible qu’ils le fassent pour un modeste bouillon de brède. Je ne comprenais pas à l’époque les subtilités de la mémoire, et les associations simples que l’on établit au fil du temps. Ils ne pleuraient pas à cause d’un bouillon de brède, mais à cause ce que cela représentait : leur paradis perdu…

 

On me demande régulièrement encore d’où je suis et ce que l’on mange chez nous. Ma réponse traditionnelle est souvent :

Il n’existe pas de plat national parce que sur notre petite île on vient de partout et  de nulle part, donc c’est une question sans réponse. J’ajoute souvent après que la population est majoritairement d’origine indienne et que le curry – notre cari- est probablement le plat  le plus commun. Nous sommes issus d’une société pluriculturelle, une nation arc-en-ciel pour utiliser un vieux cliché- ène vié dialog- comme on dit en créole. Ces cultures cohabitent et  contribuent à la culture de l’île. On peut ainsi manger dans la même rue un briani, des nouilles frites, un dhal puri ou un  cari hourite avec du riz. On ne peut hélas pas combiner ces mets délicieux pour atteindre une sorte d’apothéose culinaire qui reflète la nation. Ceci me rappelle la suite de l’histoire de la nation arc-en-ciel : celle où les différentes couleurs ne  se mélangent pas et restent chacune dans leur ‘voie’.

 

Briani: le plat préféré

 

Il y a heureusement une autre façon d’aborder le problème. On peut analyser le terroir et  sa contribution. La faune et la flore de  l’île reflètent hélas largement la situation humaine ; on a importé de partout ailleurs les fruits, les plantes et les animaux que nous aimons le plus. Prenons, le gibier par exemple : les cochons marrons, les cerfs et les tenrecs viennent d’ailleurs. Les fruits introduits tels le fuit à pain l’ont été grâce aux efforts des gouverneurs de la colonie française.

 

Je regarde en ce moment une série sur les cuisines qui cohabitent en Grande- Bretagne, présentée par Nigel Slater. Il aborde à chaque volet un thème culinaire, par exemple, les nouilles et explore avec ses invités les diverses façons de faire, avant de proposer une synthèse culinaire, qui incorpore un concept de chaque tradition pour en faire un plat unique. C’est peut-être notre solution : adapter les idées et créer une nouvelle cuisine en utilisant les produits locaux. 

 

Je me souviens avoir apprécié au Shandrani (il y  a des lustres) un carpaccio de fruits de mer…  Vous me dirait  que je suis en train de refaire l’histoire : les italiens  aiment certes la pomme d’amour autant que nous, mais cela ne les rend pas mauriciens ! Je ne peux hélas, que mentionner ce que j’ai vu. Pour le reste, je suis certain que cette fusion mauricienne existe quelque-part, je n’ai juste pas eu l’occasion d’y goûter !

Publicité
Publicité
13 mai 2015

Nouvelle page

Nouvelle

Planète_des_singes_2

13 mai 2015

Les piments de Proust

English Click on the link

http://kelibekeliba.blogspot.co.uk/

 

On m’ a récemment offert un pimentier (c’était toujours ène ‘pied pima’ dans mon enfance) et cela m’a rappelé un de mes plus vieux souvenirs. Après maintes délibérations avec moi-même, on est tombé d’accord : c’est bien mon plus vieux souvenir. Il s’agit de mon père et de ses piments ; je devais avoir à peu près trois ans alors.

Je suppose qu’il n’est pas rare d’avoir la mémoire bourrée de souvenirs ayant trait aux piments, quand on est né sous les tropiques. N’y a-t-il pas une vieille légende mauricienne oubliée où le Père fouettard frotte du piment sur les plaies des enfants pas sages ? Peu importe ; peut-être que monsieur Proust aurait parlé d’un poivron s’il avait été el Senor Proust ou encore d’un paprika s’il avait été Herr Proust ! 

DSC_0078

Je me souviens : j’étais assis sur les genoux de mon père et c’était le repas lors d’un mariage indien. La nourriture était sur une feuille de banane et mon père croquait des petits piments verts qu’il prenait régulièrement d’un petit tas sur le coté. Il reposait les tiges lorsqu’il avait fini, un peu comme un dragon laisserait les os de ses victimes…Je me souviens du croquement, et des sifflements continus  qu’il faisait pour aspirer de l’air et refroidir sa langue en surchauffe. Mon père était un dragon !

 Trente-cinq ans plus tard, mes enfants se plaignent lorsque leur curry est épicé. Conclusion : le gène du piment n’est pas héréditaire ! Et à l’extrémité de cette courbe on retrouve ma belle-mère, qui s’est mise à suffoquer en gouttant un peu d’huile pimentée, à partir de la pointe d’une fourchette…

 

Les piment contiennent, paraît-il, une substance semblable à celle contenue dans le chocolat, laquelle occasionne la sécrétion d’endorphines. Donc, c’est officiel : on est accroc à la douleur !

 

http://www.newsweek.com/2014/08/01/us-study-finds-chilli-day-could-stave-old-age-260739.html

 

http://www.thenakedscientists.com/forum/index.php?topic=328.0

 Croquer dans un piment cru, ce n’est  tout de même pas le genre de chose que la plupart d’entre nous font à tête reposée ; c’est le genre de bravoure qu’on démontre lorsqu’on a picolé un peu. On a donc chacun une façon personnelle de dompter les flammes de l’enfer. Ma mère aime les petits piments verts écrasés avec du sel. Cela me rappelle les mangues vertes et acides que l’on mange avec. Pour ma part, je recommande les gros piments verts écrasés avec de la menthe, du citron et de la coriandre.

 Je me souviens aussi de ce qui peut arriver si on sous-estime  du piment.  On a déménagé pour habiter à Vacoas quand j’avais quatre ans. Le voisin nous a alors invité pour l’apéro. Les gajacks étaient délicieux et je m’en  suis gavé, à fort renfort de  piment (le noble Roland mangeoy moult fois du poivron et malgres sa bruslure, continuoi la mangeaille, avec bravoure). Le lendemain je fis une contribution précoce à ceux nous appellerions plus tard, la gerbe d’or ! 

 

27 avril 2015

La Planète des Singes/ Planet of the Apes

Salut chers lecteurs,

Tout d’abord petite annonce; j’ai inversé la hiérarchie des pages et des messages : les chapitres du  roman seront désormais dans les pages de mon blog  et je publierai mes  notes d’écriture en message. Et aussi, je ferai une version anglaise !

Nicolas

montagne des signaux

I loved buses when I was a young boy; their sound, their look, and the hawkers selling peanuts, either boiled or salted, pacing up  and down  the ‘aisle’ sounding like broken records. I would always make a fuss about boarding an  old bus. They were noisy and made lots of smoke. I did enjoy watching the jet of smoke coming out of the exhaust pipe, if I  was by chance on the right side of the bus. The exhaust pipe was in those days not very  securely  tied and it just  hanged  out on the side of the bus and quite often would knock  again the frame or fall off.

It’s tricky to pick a seat when you  are five. I was five in 1982.  One had to compute the time of the day  and figure out where the sun would be during the trip; the front was too noisy  and at the back there was always some macho guy sitting legs wide apart, taking all the space, selfishly. There was also frequently there a big canvas bag, full to the brim, weighing three tons and impossible to circumnavigate.

 We used to  take the 141 bus to Port Louis. The ‘new road’ as we called it was the new motorway winding its way down to the capital and in those days there were not as many traffic jams. It only took 25 minutes to get to the infernal  blaze of Port  Louis.

 I  can vaguely  recall the TV series based on the Planet  of the Apes. We watched it in mum’s bedroom on our old black and white Sanyo TV. At that time we also watched the incredible Hulk (I used to watch through my fingers because I was scared of Lou Ferino) and  Captain Harlock. I  also remember that old advert for the Mauritius Commercial Bank explaining why it was the BEST…

tv

 I  found this French  documentary about the origins of the planet of the Apes when I  was carrying out some research, you  may  enjoy it, give it a try! Its funny  how each generation has to rediscover old stuff on their own terms ; Marcel and Conrad think that Star Wars  was created by  Lego!   

 Mimi Labat, a legend of Mauritian radio was on air between Noon and 2 pm just  before the oriental language broadcast. The background music, was from  Jean Michel Jarre, I didn’t know it at the time. I had a Eureka moment much later here in London when listening to his Best  of  Vinyl we had just bought.  

 

French

 

 

 

J’adorais les autobus quand j’étais gamin ; leur son, leur apparence, et les marchands de ‘pistaches salées et bouillies’ qui arpentaient l’allée centrale du bus en marmonnant la même chose inlassablement. Je ne voulais jamais entrer dans un vieil autobus. Ils faisaient trop  de bruit et de fumée. J’observais toujours le jet de fumée sur l’asphalte quand le chauffeur appuyait sur l ‘accélérateur- il fallait s’asseoir du  bon coté pour cela.

C’est complexe de choisir son siège dans le bus à Maurice quand on a cinq ans (c’était en 1982).  Il  fallait décider l’heure de la journée et  de quel coté le soleil penche, à l’avant le bruit et trop assourdissant, à l’arrière il y a toujours un  gros macho qui écarte les jambes et prend toute la place ou alors une grosse ‘tente bazaar’ qui pèse trois tonnes qui bloque le passage. Quand on allait à Port Louis on prenait le bus 141 qui venait d’Henrietta.  Il passait sur l’autoroute, qui à l’époque n’avait pas beaucoup de bouchons; il fallait seulement 25 minutes pour atteindre la chaleur infernale  Port Louis !   

isuzu

 

Je me souviens vaguement de la série sur la Planète des Singes. On la regardait sur notre téléviseur noir et blanc Sanyo. C’était l’époque où l’incroyable Hulk passait à la télé, ainsi qu’Albator… Il y avait aussi cette vielle pub de la MCB, le Best : B, c’est le bénéfice, E c’est l’expérience,  S c’est la  sécurité, T comme toi ! Jetez un œil sur le documentaire que j’ai trouvé en farfouillant un peu. Mon Dieu comme notre mémoire est courte- plus beaucoup de personnes aujourd’hui savent les origines du film ! Conrad et Marcel pensent que Star Wars a été inventé par LEGO !

 

Mimi Labat parlait tous les jours entre midi et  deux heures sur radio 1, juste avant les émissions en langues orientales. La musique de fonds était toujours de Jean Michel Jarre. Je ne savais pas qu’elle était de lui alors, je m’en suis seulement rendu compte plus tard à Londres, par hasard, alors que nous écoutions le disque vinyl que nous venions d’acheter.

jarre

 

Mes sources 

Documentaire La planète des Singes

https://www.youtube.com/watch?v=P7sNsWtqoXc

Photos

https://www.youtube.com/watch?v=P7sNsWtqoXc

J’ai aussi trouvé ce site qui répertorie des photos de bus à travers le monde :

http://busglobe.com/globe/mauritius

 

21 avril 2015

Au pied du corps de Garde, Chapitre 2

Morne Brabant

« Chomboli, chomboli,
Chomboli na pas kité.
Chombolila, chombolila ;
Chombolila na pas largé »
Chanson scoute pour  feu de camp, Août 1990

L’avion virait alors au large d’un mont remarquable, dressé comme une forteresse, une sentinelle dont les pieds trempaient dans l’Océan Indien. Ludivine lui trouva un coté imposant et majestueux. Elle voyait défiler pour la première fois toute la côte Sud de l’île ;  Baie du Cap, les falaises de Gris Gris, Souillac…Cette partie de l’île lui était vaguement familière, car avant de partir, elle en avait  étudié la carte et souligné du  doigt son pourtour en murmurant les noms de certains lieux, au hasard ; Pomponette, Rivière des Anguilles, Le Souffleur. Elle avait prononcé ces noms un peu à la façon dont on répète les noms de ses beaux-parents à la veille de la première rencontre.  


 Assis un peu plus loin, Norbert, qui avait remis ses écouteurs, savait que cette côte était  sauvage et moins connue.  Elle n’avait pas de plages blondes comme le reste de l’île. Elle faisait constamment face aux alizées qui soulevaient la mer,  laquelle  déferlait sans relâche contre la côte rocheuse. Elle était propice à l’introspection, et avait inspiré les poètes d’autrefois. Il savait aussi que la montagne qui avait d’abord frappé Ludivine était le Morne Brabant.
Le Morne : un lieu symbolique, théâtre de tragédie, lorsqu’en 1835 des esclaves évadés  avaient préféré se jeter dans le vide plutôt que de se rendre aux  soldats anglais. Or, ces derniers n’étaient pas venus pour les capturer, mais pour leur annoncer la fin de l’esclavage. Autrefois, il lui semblait que  c’était à l’autre bout du monde.  Le Morne occupait pour lui un point remarquable;  l’intersection du massif de la Rivière Noire (chargée d’histoire) et de la côte sud (chargée de poésie). C’était donc un pôle d’énergie, un lieu qui fait forte impression.


Il avait ses propres souvenirs;   Il revoyait la masse sombre du Morne profilée contre le ciel austral où la voie lactée semblait à portée de main et les constellations (dont la Croix du Sud) se détachaient du  ciel  comme des pierreries sur un tapis de velours.  Il faisait alors un exercice d’orientation nocturne avec les scoutes. Il n’avait pas beaucoup prêté attention à la carte car il gardait le nez dans les étoiles. C’était une nuit claire et  loin de la lumière gênante des villes,  les étoiles pouvaient enfin donner la pleine mesure de leur spectacle. C’était comme plonger dans l’immensité du cosmos et réaliser le miracle de cette terre, ainsi que l’infinie petitesse de l’homme dans ce monde !


Il invoquait sa liste magique d’étoiles et les retrouvaient dans leur constellation:
- Rigel, Altair, Aldébaran. Et  Antarès, la géante rouge au cœur du scorpion.
- Regarde vers Antarès,  pour voir le centre de notre galaxie, disait  son père.   

scorpion et morne

 


Fait marquant, le scorpion céleste fût suivi par l’apparition d’un vrai scorpion. Pas une de ces petites bestioles que l’on trouve lorsqu’on enlève l’écorce des filaos mais un spécimen  grand comme la paume de la main ! Il était couleur sable et agitait ses pinces. Au bout de sa queue, son aiguillon redoutable était  prêt à frapper en un éclair. C’était son premier scorpion. Il avait averti les autres et  tous vinrent pour voir le monstre, qui malheureusement finît anéanti sous la botte d’Hervé, un des chefs de la troupe, qui voulait que rien ne vienne perturber les préparations de départ, pas même un scorpion géant!
De son coté, Ludivine contemplait maintenant à travers le hublot l’immensité de l’océan indien.  Elle songeait non sans nostalgie à  l’époque révolue de la marine à voile, ce temps où le monde était encore à découvrir.


 Elle aurait voulu pouvoir parcourir l’ancienne route des Indes le long de  la côte ouest africaine, et passer le redoutable cap de Bonne Espérance. Elle évoquait les noms des explorateurs d’antan pêle-mêle dans sa tête: Vasco de Gama, Mascareignas, Lapérouse…
- La route des Indes, c’est  les épices, la soie et le mystère…
Elle allait vers un paradis lointain, pour se ressourcer, se retrouver.  Dans sa valise, elle emportait  romans et  livres ayant l’île Maurice pour thème. En face d’elle sur le panneau escamotable, une copie de Paul  et Virginie. Elle sourit en pensant que pendant longtemps elle avait cru  que Rousseau était l’auteur de ce roman. Elle aimait quand même ce monsieur Rousseau, qui il y a très longtemps  trouvait déjà que la civilisation apportait une forme de corruption à l’âme humaine.


Son emploi de caissière à la poste n’était pas très pénible, mais elle trouvait la vie urbaine trop stressante. Sûrement, l’homme dans son état naturel vivait à un rythme plus clément, sujet aux saisons et au bon vouloir de la Nature et non aux demandes irraisonnables de notre société matérialiste. Pendant trois semaines, elle voulait renouer avec elle-même et la nature. Elle voulait être comme Virginie dans la vallée de Crêve-Cœur et ressentir la beauté parfaite des premiers rayons de l’aube recouvrant le Pieter Both d’or..


Malgré son faible  pour la peinture idyllique et paradisiaque de l’île par Bernardin de St Pierre,  elle n’ignorait pas que l’Isle de France était aussi terre de souffrance et avait dépendu  de l’esclavage pour son développement. Et quand l’esclavage fût aboli, il revint sous  un autre nom, parce que la convoitise et la cruauté des hommes,  elle, est  immuable.  
Elle l’avait lu dans un article du  magazine de bord et en avait aussi discuté avec une jeune femme dans l’avion.
- Mes ancêtres sont  venus de  l’Inde pour abattre les forêts, enlever les pierres des champs, labourer la terre, planter  et récolter la canne à sucre, lui  dit-elle. Ils  travaillaient sous le menace du fouet et ils étaient mal payés.
Il y a encore beaucoup de canne à sucre, heureusement il y a des machines agricoles! avait dit Ludivine
-Oui, çà se modernise, mais  il y  a encore beaucoup de gens qui travaillent dans les champs de cannes et la tâche est très dure. Mais aujourd’hui  le sucre n’est  plus l’avenir du pays.


Ludivine avait vu maints documentaires sur le nouvel esclavage pratiqué par les patrons  dans les ateliers de textiles. Il s’agissait toujours de la même recette inéquitable qui générait un pactole pour les patrons alors que les employés se tuaient à la tâche. En tant qu’auditrice fidèle de Daniel Mermet sur France Inter, elle était non-seulement sympathique à leur cause mais croyait fermement que la globalisation était aussi une opportunité pour les masses prolétaires du monde ; c’était l’occasion de se serrer les coudes pour désarçonner le patronnât : problème global, solution globale !
Elle se sentait quelque part traquée dans sa vie, opprimée par un manque de choix, même si en apparence, il y avait abondance de choix. Elle sentait que plus le temps passait plus sa volonté faiblissait et s’effritait face aux épreuves de la vie. Elle ne se sentait pas résolue telle Antigone, prête à la mort. Elle n’était pas non-plus, une amazone comme son amie Martine, qu’elle traitait affectueusement de “petite teigneuse” car elle avait des opinions fortes sur à peu près tout et ne reculait jamais devant une confrontation ou une injustice.


Ludivine était coincée au milieu; pas entièrement mollassonne mais pas très combative non-plus.  Elle craignait avant tout la lente mort du train train quotidien, l’usure patiente et inexorable du temps, qui poussait un être au bord du précipice, petit à petit. Elle entreprenait ce voyage pour sortir de l’étau et se renouveler. Elle s’était dit avant de partir:
-Un peu de séga,  de  la cuisine exotique, c’est tout ce qu’il me faudra…
Et maintenant, tracassée par l’idée d’avoir fait le mauvais choix, elle se demandait :
- Faut-il grimper au  sommet de cette montagne pour contempler l’Océan Indien et espérer que le vent apporte une réponse, une guérison?   
Mais elle fût ramenée au présent par les plaintes et  claquements de divers mécanismes invisibles qui signalaient la sortie des trains d’atterrissage. L’avion vira sec pour s’aligner avec la piste d’atterrissage et faire face au vent. Il perdait de l’altitude régulièrement et cela lui faisait mal au cœur car elle voyageait mal en avion ; elle n’avait par ailleurs pas été épargnée par les turbulences au cours du voyage. Mais tout cela en valait la peine.  
-J’arrive, mon île, j’arrive, pensa-t-elle.

Publicité
Publicité
13 avril 2015

Au pied du corps de Garde, Chapitre 1

Sega de Fanfan

 

 

Chapitre 1: Transfert

‘Alala ki zolizoli,Alala ki zoli zoli,
Alala ki zoli zoli nou lil moris ki zoli zoli ayo ..’
“..Que c’est joli, notre île Maurice..”

Il fût soudain conscient de cette voix rocailleuse qu’il avait entendue autrefois quelque part. Où était-ce ?
Un homme chantait, mais on aurait dit plutôt qu’il parlait en suivant le rythme de la ravane.  La ravane, c’est un tambour plat et large; un cadre de bois sur lequel est tendu une peau de chèvre. C’était donc un chanteur de chez lui: Fanfan.
Il se concentra  sur le son de la ravane, et imaginait de vieilles mains, tapotant la peau de chèvre tendue, de façon soutenue et sans effort. On lui avait dit autrefois:
 -Une ravane se joue avec les doigts uniquement. Pas avec la paume. Une ravane, c’est fragile.

Fanfan était un conteur, il s’accompagnait d’un rythme plus lent que celui employé pour un séga. Si tu l’ignores, cher lecteur, saches que c’est la musique  de l’ile Maurice. Norbert  trouvait ce rythme à la fois calme et étrangement envoûtant. Peut-être était-ce seulement son cœur d’exilé qui battait à la chamade en entendant la musique de chez lui,  cette terre  qui, de là-bas, appelait toujours à voix basse. Il s’agissait d’un simple murmur à  peine perceptible la plus part du temps, mais ce murmur retentissait toujours dans son oreille, continuellement, un peu comme le vent-si[1] qui souffle constamment sur les côtes de son île et fait enfler les voiles des pirogues de pêcheurs.  Son cœur devenait ravane et résonnait, comme la peau de chèvre chauffée,  à l’évocation de son rocher natal.

Peu après, il fût pleinement réveillé et s’étira en baillant. Il se redressa, enleva les écouteurs de ces oreilles et les laissa enrobés autour de son cou. La voix de Fanfan était toujours audible, malgré le bourdonnement sourd des réacteurs.  Le manque d’espace pour ses jambes  lui fit regretter de ne pas avoir réservé en classe d’affaires. Un signal sonore retentissait fréquemment rappelant les passagers de garder leurs ceintures attachées. Il se dressa, étendit le cou et balaya son entourage du regard; la plupart des passagers ne dormaient plus et regardaient un film sur leurs écrans. Le jour venait de se lever et le petit déjeuner serait bientôt servi. Son voisin dormait encore. Un regard par le hublot lui confirma que ce serait une belle journée. L’avion glissait tranquillement vers son île.

fanfan

 


Plus il s’en approchait, plus il lui  semblait qu’il ne s’agissait pas d’un simple transfert physique. Son esprit traversait le pont entre  deux mondes; à mesure qu’il se rapprochait de son île natale,  il lui semblait renouer avec des coins reculés de sa mémoire, lui rappelant des souvenirs qu’il croyait perdus.

Il se disait qu’après tout il était stupide de penser que l’on pouvait  prendre l’avion pour rentrer au pays après dix ans d’absence et que cela serait un peu comme prendre l’autobus[2] après une journée de travail. Il aimait certes arpenter ce qu’il appelait ‘les allées tortueuses  de la mémoire’ , pour humer jusqu’à s’ennivrer, les parfums subtils du passé. Mais il était surpris de pénétrer  un recoin négligé, semblable à ces terrains vagues où prolifèrent  le kiskut;[ lianes jaunes envahissantes que meme le feu ne détruit pas selon Axelle Lamusse; botaniste] ceux-là mêmes où on s’égratigne sur ces ronces que l’on appèle ‘piquant loulou’  chez lui. Il était surpris de cet influx soudain, mais au fond ce n’était pas désagréable, au moins pour le moment.

“Pas de problème,” pensa-t-il. C’était une des expressions de son enfance, qu’il entendait souvent en créole:
“Péna problem.”
C’était peut-être la philosophie de l’île, immortalisée par le slogan en anglais imprimé sur des T-shirts:
“No problem in Mauritius.”
Il allait replonger dans la mer de ses souvenirs comme dans un lagon chaud et limpide, sans  problème.

 Il imagina la montagne, sa montagne, dressée au milieu des champs de cannes, l’attendant. Peut –être que d’autres y courraient aujourd’hui même…Il réfléchit vite; c’était mercredi, en plein mois de mars, donc possible. Il se voyait courir sur les flancs de la montagne, laquelle était un peu comme une mère, mais il imaginait aussi le désespoir de sa véritable mère.  
- Ce serait un sacrilège après une si longue absence, se disait-il.
Norbert savait que c’était un caprice qui ne le lâcherait pas,  et  que cette petite idée deviendrait bientôt immensément séduisante et difficile à repousser. Il éprouvait le frisson unique d’un gamin sur le bord de commettre un petit larcin afin de se procurer un bonbon.  

Deux rangs plus loin, Ludivine regardait la mer qui ressemblait à un tapis de velours bleu sombre. Elle aurait sans doute préférée aller directement à la plage et plonger directement dans les flots sans ôter ses vêtements. Elle vît soudain l’île à babord, plus bas: une masse verte entouré de lagon turquoise.  Elle touchait enfin au but. Cela faisait des années qu’elle rêvait de ce paradis tropical sans pour autant concrétiser son rêve, un peu comme si c’eût été trop risqué  de le confronter à la réalité. Ludivine était employée à la poste à Limoges, elle comptait beaucoup sur ce voyage pour effacer la monotonie de sa vie. Elle était consciente, quelque part, que c’était un bien lourd fardeau pour un simple séjour de trois semaines. Mais elle se disait que cela devait sûrement faire partie de la prestation lorsque l’on paie deux mille euros, soit toutes ses économies!
Elle parlait à son rêve, à son île :
-Tu n’as pas le droit de me décevoir. Tu ne peux pas..

Elle se rendait bien compte que sa vie était confortable, et qu’elle ne manquait de rien. Cependant, Ludivine éprouvait de temps à autre, et  de façon inquiétante, de plus en plus fréquemment, un  malaise indescriptible,  un mal à l’âme  dont rien ni personne ne pouvait la tirer. Un seul remède lui était connu : les vacances…




[1] Vent dominant qui souffle du Sud-Est
[2] Liane jaune filamenteuse et  envahissante dépourvue de feuilles

sega

 

Publicité
Publicité
Longitude 57 Est
Publicité
Archives
Publicité